28 septembre 2006

Rencontre avec Raul Hilberg

Hier soir1, le Mémorial de la Shoah organisait une rencontre entre le professeur Raul Hilberg et une centaine de ses lecteurs à l'occasion de la parution chez Folio Histoire de la dernière version de son ouvrage de référence : La Destruction des Juifs d'Europe.

Dernière édition traduite en français en date, la précédente remontant à 1988, mais aussi, aux dires du Pr Hilberg, dernière édition tout court. R. Hilberg considère en effet qu'il n'écrira plus sur un sujet qu'il traite depuis... 1948 !

Malgré l'ouverture récente des archives des pays d'Europe de l'Est, R. Hilberg pense avoir épuise les sources et que les nouveaux documents n'apportent plus grand chose de nouveau, rien qu'il n'aurait appris ou compris auparavant.

Deux heures durant, le professeur Hilberg s'est plié au jeu des questions/réponses avec le public, défendant notamment le caractère "froid" et distancié de son oeuvre sur un sujet aussi sensible. Se défendant au passage de n'avoir fait qu'oeuvre d'historien et de scientifique, expliquant combien certains thèmes - le rôle des représentants des communautés juives durant les années de persécution notamment - lui avait personnellement coûtés.

Il a également abrodé certains thèmes d'une manière peu conventionnelle : il s'est ainsi déclaré opposé à l'enseignement obligatoire de la Shoah dans les écoles primaires ou dans les collèges, insistant sur le fait que le sujet ne pouvait parfois pas même être proposé à des étudiants d'université, qu'il fallait pour cela, non seulement une maturité d'âge, mais plus encore un bagage historique faute de quoi il lui semble impossible de comprendre quoique ce soit à ce que fût le processus de destruction des Juifs européens.

Sur un autre point - mais qui se comprend à la lecture de l'ouvrage - il juge justifiée les poursuites à l'encontre de la SNCF - plus précisément de sa bureaucratie. "Je serai", dit-il, "tous ceux qui voudront mettre en cause les bureaucraties qui ont participé aux opérations de transport dans le cadre de la politique de destruction des Juifs." Il précisa cependant qu'il ne fallait pas que ces poursuite fassent l'objet de demandes de réparations ni de restitution : "l'argent ne ramènera pas les 6 millions de morts."

[Personnellement je comprenais mal le sens d'une telle démarche, la SNCF ayant par ailleurs "fourni" un contingent non substantiel de résistants et ayant payé par leur entremise un lourd tribut à la lutte contre l'occupant. D'où la précision qu'il s'agit bien de mettre en cause la bureaucratie SNCF, celle qui organisait, planifiait, facturait les convois de déportation.]

La lecture de cette somme - plus de 1.500 pages - est nécessaire.

Né vingt-trois ans après la fin de la guerre, je fais partie de cette génération à qui l'on a appris, au nom de la réconciliation franco-allemande et de la construction de l'Europe, que ce n'était pas les Allemands mais les Nazis qui étaient responsables du massacre des Juifs, qu'il ne fallait donc pas tenir toute l'Allemagne pour coupable. En lisant Hilberg je m'aperçois que non, les Allemands ne furent pas... les seuls responsables, qu'ils trouvèrent dans la quasi-totalité de l'Europe des exécutants zélés et des collaborateurs.

Les questions que soulève la lecture des ouvrages de R. Hilberg sont innombrables.

Cependant, il en reste une, essentielle, obsédante, qui ne trouve aucune réponse dans les 1.500 pages de ces trois tomes qui décrivent comment, par qui et où furent massacrés 6 millions d'être humains du seul fait qu'ils étaient Juifs : pourquoi ?

Qui répondra - si tant est que l'on puisse y répondre de manière satisfaisante - à cette question ? Qui sera le prochain "Hilberg" ?

1 Mercredi 27 septembre 2006, jour du 60e anniversaire des massacres de Babi Yar.